Publi¨¦ le 3 juin 2022 Mis ¨¤ jour le 3 avril 2023

Br¨¨ve scientifique

La r¨¦ponse rapide et coordonn¨¦e des pays de l¡¯Union europ¨¦enne face ¨¤ l¡¯arriv¨¦e massive de r¨¦fugi¨¦s ukrainiens est exceptionnelle, et contraste avec l¡¯habituel manque de coordination relatif au droit d¡¯asile au sein des pays membres. Des travaux men¨¦s entre janvier 2009 et juin 2017 par Simone Bertoli, Herbert Br¨¹cker et Jes¨²s Fern¨¢ndez-Huertas Moraga indiquent que les choix des demandeurs varient en fonction des mesures politiques mises en place par les pays d¡¯accueil. Les r¨¦sultats de leurs analyses, ¨¤ partir de donn¨¦es Eurostat, montrent que le temps de traitement des demandes est significatif dans le choix des demandeurs : plus il est long et moins le pays re?oit de demandes, tout en augmentant la proportion de celles ayant une forte probabilit¨¦ d¡¯¨ºtre rejet¨¦es. Ces r¨¦sultats viennent d¡¯¨ºtre publi¨¦s dans la revue Regional Science and Urban Economics.

Jean Monnet avait ¨¦crit dans ses m¨¦moires : ? L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apport¨¦es ¨¤ ces crises. ?  Le conflit actuel en Ukraine pourrait bien ¨ºtre ¡ª avec la pand¨¦mie de Covid19 ¡ª une des crises majeures ayant fa?onn¨¦ l¡¯¨¦volution de l¡¯int¨¦gration en Europe, de m¨ºme que la mise en place d¡¯une politique commune envers les r¨¦fugi¨¦s ;et les demandeurs d¡¯asile.  D¨¨s le d¨¦but de la guerre le 24 f¨¦vrier dernier, les pays membres de l¡¯Union europ¨¦enne se sont rapidement coordonn¨¦s autour d¡¯un accord sur l¡¯accueil et la r¨¦partition des r¨¦fugi¨¦s ukrainiens. Ils n¡¯avaient pas r¨¦agi de fa?on aussi coordonn¨¦e en 2015 face ¨¤ l¡¯arriv¨¦e massive des r¨¦fugi¨¦s et demandeurs d¡¯asile provenant de Syrie, d¡¯Afghanistan et d¡¯Iraq. L¡¯Allemagne, de son c?t¨¦, avait d¨¦cid¨¦ apr¨¨s le fameux discours sur ? Wir Schaffen Das ? (On va y arriver) de sa chanceli¨¨re Angela Merkel, de suspendre temporairement l¡¯application du r¨¨glement de Dublin et d¡¯octroyer le statut de r¨¦fugi¨¦ ¨¤ tous les demandeurs d¡¯asile provenant de Syrie. Elle avait ainsi investi massivement pour ¨ºtre en mesure de traiter rapidement l¡¯ensemble de demandes d¡¯asile, r¨¦duisant fortement la dur¨¦e moyenne entre l¡¯enregistrement d¡¯une demande et la d¨¦cision finale d¡¯obtention du statut de r¨¦fugi¨¦ ou d¡¯une autre forme de protection temporaire.  D¡¯autres pays membres de l¡¯Union europ¨¦enne avaient, de leur c?t¨¦, refus¨¦ la mise en place de tout m¨¦canisme de r¨¦partition de r¨¦fugi¨¦s et ferm¨¦ leurs fronti¨¨res.

Ces diff¨¦rentes politiques mises en place dans les Etats membres de l¡¯Union europ¨¦enne ont-elles eu des effets sur les choix des demandeurs d¡¯asile ?  Si tel est le cas, les pays d¡¯accueil s¡¯exposent-ils ¨¤ des effets n¨¦gatifs r¨¦sultant de ce manque de coordination ? 

Afin de r¨¦pondre ¨¤ la premi¨¨re de ces questions, les auteurs ont analys¨¦ des donn¨¦es mensuelles relatives au nombre de demandes d¡¯asile selon le pays d¡¯origine du demandeur et le pays d¡¯accueil, entre janvier 2009 et juin 2017. Les donn¨¦es fournies par Eurostat ont ainsi permis de mesurer dans le temps, et selon chaque combinaison pays d¡¯origine / pays d¡¯accueil, trois variables inh¨¦rentes aux politiques mises en place envers les demandeurs d¡¯asile :

  • le taux d¡¯acceptation des demandes d¡¯asile,
  • le temps n¨¦cessaire pour prendre une d¨¦cision d¨¦finitive sur les demandes enregistr¨¦es,
  • le risque de rapatriement pour les d¨¦bout¨¦s du droit d'asile.

Ces variables ont ensuite ¨¦t¨¦ utilis¨¦es pour l¡¯estimation d¡¯une ¨¦quation de gravit¨¦, mettant en ¨¦vidence leur r?le dans le choix du pays destinataire de la demande. En toute logique, le nombre de demandes d¡¯asile est plus ¨¦lev¨¦ dans les pays o¨´ le taux d¡¯acceptation est plus ¨¦lev¨¦. Les demandeurs d¡¯asile se tournent ¨¦galement en moyenne davantage vers les pays d¡¯accueil en mesure de traiter plus rapidement leurs demandes, r¨¦duisant ainsi la dur¨¦e d¡¯incertitude juridique ¨¤ laquelle ils sont confront¨¦s. Mais cela n¡¯est vrai qu¡¯en moyenne, car les demandeurs d¡¯asile faisant face ¨¤ un risque tr¨¨s ¨¦lev¨¦ d¡¯¨ºtre d¨¦bout¨¦s, choisissent d¡¯enregistrer leur demande dans des pays o¨´ le traitement, sous-entendu le rejet, de leur demande prendra davantage de temps. Cet effet, qui est plus fort quand le risque de rapatriement pour les d¨¦bout¨¦s du droit d'asile est moins ¨¦lev¨¦, peut s¡¯expliquer par le fait que la demande d¡¯asile permet de sortir d¡¯une situation irr¨¦guli¨¨re et aussi d¡¯avoir acc¨¨s, dans certains pays, ¨¤ un emploi et ¨¤ certaines aides sociales.

Les r¨¦sultats des estimations induisent que les efforts mis en place par l¡¯Allemagne en 2016 pour acc¨¦l¨¦rer le traitement des demandes ont eu pour effet d¡¯augmenter de fa?on significative le nombre de demandes d¡¯asile dans ce pays, tout en r¨¦duisant les demandes enregistr¨¦es dans d¡¯autres pays europ¨¦ens, notamment la Su¨¨de.

Quelles sont les cons¨¦quences de ce manque de coordination sur les principaux pays d¡¯accueil ? Chaque pays europ¨¦en pourrait en d¨¦duire qu¡¯allonger le temps de traitement des demandes d¡¯asile revient ¨¤ d¨¦courager les demandeurs d¡¯asile. Or, ce choix ne produit pas les effets escompt¨¦s si plusieurs pays suivent la m¨ºme logique. Cette dynamique a, par ailleurs, des cons¨¦quences tr¨¨s n¨¦gatives pour l¡¯int¨¦gration sur le march¨¦ du travail de ceux qui obtiennent le statut de r¨¦fugi¨¦ : la litt¨¦rature montre en effet que la dur¨¦e de la p¨¦riode de traitement de la demande augmente durablement le taux de ch?mage des r¨¦fugi¨¦s. Cela rend plus difficile ¨¦galement le rapatriement pour les d¨¦bout¨¦s du droit d'asile.   

Contact :
Simone Bertoli Enseignant-chercheur, Centre d'¨¦tudes et de recherches sur le d¨¦veloppement international :